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17 octobre 2022

Aperçu du costume écolo – Partie 1

Par Julie Fournier

Quand j’ai commencé à m’intéresser aux costumes écoresponsables, j’ai dû faire pas mal de recherches dans le milieu de la mode, car je ne connaissais pas grand-chose sur l’impact écologique des vêtements. J’ai bien sûr été choquée de découvrir à quel point cette industrie est polluante. Selon certaines études, c’est la deuxième plus polluante au monde. Cela est beaucoup lié au fait que la confection d’un vêtement requiert beaucoup d’étapes différentes selon les types de fibres: la culture, l’extraction du pétrole, la transformation, le tissage, la teinture, la couture, etc. Tous ces procédés requièrent non seulement beaucoup d’énergie et de produits chimiques, mais aussi beaucoup de main-d’œuvre. Ainsi, les vêtements ont un important impact autant social qu’écologique.

 

Que peut-on faire en tant que designer pour encourager le moins possible les mauvaises pratiques de l’industrie de la mode? C’est facile de se sentir perdu devant tous les aspects différents à prendre en compte. Voici quelques pistes et alternatives concrètes qui pourront aider lors d’une confection de costumes.

 

LA CONCEPTION ET LE RÉEMPLOI

LE procédé qui diminue le plus l’impact d’un costume est le réemploi. 

Chaque fois que vous réutilisez un élément plutôt que d’acheter un nouvel item, vous diminuez la pression sur les ressources planétaires et vous limitez les impacts sociaux négatifs liés à la production textile, tout particulièrement s’il s’agit de fast-fashion. Il y a déjà tellement de vêtements et de textiles usagés disponibles qu’il est assez facile d’éviter les matières neuves. Opter pour les costumiers, les friperies ou votre stock personnel est en soi un geste écologique. Ces ressources existent déjà et il faut en profiter! 

 

Bien sûr, ne rien acheter neuf est un défi de taille. Dans certaines situations cela est presque impossible. Les costumes ont une vie mouvementée sur la scène et doivent être résistants. Ainsi, opter pour des marques et des matériaux de bonne qualité est une option préférable, car cela garantit une plus longue vie au vêtement. Si on a le budget, il est alors recommandé d’opter pour des marques locales éthiques et écoresponsables. Vous pouvez par exemple consulter le Répertoire de la mode locale fourni par le Réseau des femmes en environnement.

 

Favoriser le réemploi implique aussi de changer un peu notre façon de concevoir. On nous a toujours appris à créer à partir de zéro et d’utiliser seulement notre imagination. L’écoconception suggère une démarche plus flexible. Il est possible, par exemple, d’opter pour des concepts ouverts qui permettent de s’adapter à ce qu’on trouve. On peut très bien créer un personnage et une personnalité sans décider de la couleur ou de la forme exacte du costume. S’inspirer des matières est aussi un très bon remède au syndrome de la page blanche!

 

LE TRANSPORT

Je me suis amusée à comparer l’impact écologique d’un jeans neuf avec le trajet d’une voiture qui ferait plusieurs friperies pour trouver un jeans de seconde main. Et bien il faudrait faire 41 km de voiture pour égaler les émissions de CO2 d’une seule paire de jeans soit environ 20kg de CO2. C’est sans compter les 10 000 litres d’eau nécessaire à leur fabrication et les très probables employés exploités. Donc avec un itinéraire optimisé, on peut facilement faire beaucoup moins que 40 km pour trouver le jeans parfait en friperie!

 

En fait, dans le cycle de vie d’un vêtement, l’impact écologique du transport est le moins important comparé aux étapes de la production et de l’entretien. Ainsi, si les tissus ou vêtements proviennent de compagnies éthiques et écoresponsables, il est parfois préférable de commander à l’international que d’acheter un tissu normal dans un magasin local (celui-ci a probablement été importé de l’international de toute façon). 

 

LA FABRICATION

Un principe de base dans l’écoconception est l’importance de prendre soin des humains et des équipes. L’industrie textile est l’une de celles qui reposent le plus sur la main-d’œuvre et exploite malheureusement beaucoup de personnes. Faire fabriquer les costumes localement ou encourager des marques locales permet d’avoir une meilleure idée des conditions de travail dans lesquelles les pièces sont produites. Cela permet aussi de préserver  l’expertise locale et les savoir-faire qui se perdent de plus en plus. 

 

Un point qui revient souvent lors de mes discussions avec des concepteurs.trice.s investis.e.s dans la cause socioécologique, est l’importance d’impliquer l’équipe de fabrication dans le processus de création. Il faut s’éloigner du modèle pyramidal et s’orienter vers une approche collaborative. Travailler avec les gens plutôt qu’au-dessus d’eux et laisser de la place pour se faire inspirer par leur créativité. Cela permet de valoriser le travail de ces gens qui sont des expert.e.s dans leur domaine et de bénéficier de leur talent. En leur faisant confiance, on peut créer des liens forts et en faire nos allié.e.s. 

 

Glenne Campbell, conceptrice de costume basée à Vancouver, me racontait qu’elle faisait des rencontres tous les jours avec son équipe en posant trois questions: Où êtes-vous rendu dans le travail à faire? Avez-vous des difficultés avec quelque chose? Est-ce que quelqu’un autour de la table a une idée pour régler le problème ou a une solution? Cela permet de travailler en groupe plutôt qu’en silo et de générer des collaborations qui ne se peuvent pas lorsque le travail est fragmenté. Mélanger des expertises permet souvent de trouver des solutions originales et stimule la créativité de toute l’équipe ce qui sera nécessairement bénéfique pour le projet. La résolution de problèmes est un générateur d’idées et de créativité qu’il ne faut pas sous-estimer!

 

LE CHOIX DES MATIÈRES

Lorsque vient le temps de confectionner un costume, le choix des matières devient primordial. Pour le choix des tissus, chaque sorte de fibre apporte son lot de questionnements. Réutiliser le tissu déjà existant reste encore la meilleure solution. Cela est par exemple possible chez nous à Écoscéno et chez Atelier Adopt Fabric. Toutefois, si l’on doit acheter des tissus neufs, il existe diverses alternatives et de plus en plus d’innovations inspirantes. 

 

Les fibres naturelles

Coton, chanvre, lin, laine, soie, fourrure, cuir, plumage, etc.

 

Celles-ci comprennent les fibres d’origine végétale et animale. Les fibres naturelles ne sont pas nécessairement les plus écologiques. La production de coton non biologique, par exemple, est l’une des plus toxiques de toutes les cultures. Les fibres animales, elles, soulèvent beaucoup de questions éthiques et écologiques. 

 

Le lin et le chanvre sont naturellement plus écologiques, car ces fibres requièrent moins d’eau et de produits chimiques pour pousser. Les cultures biologiques sont aussi moins dommageables pour l’environnement et peuvent réduire l’impact écologique d’une fibre de plus de 90%.

 

Les fibres naturelles, surtout animales, sont toutefois les plus durables. Lorsque vient le temps de choisir entre une bonne paire de bottes en cuir ou une bottine en simili cuir, le vrai cuir est souvent préférable à condition de les garder longtemps! Le simili cuir est généralement fait à base de pétrole et est beaucoup moins durable. 

 

Il existe de plus en plus de recherches et d’innovations pour trouver des alternatives végétales au cuir et aux plumes. Pinatex, par exemple, a déjà commercialisé son cuir d’ananas et plusieurs marques ont commencé à créer des produits à partir de cette nouvelle matière. Une start-up québécoise est même en train de développer son propre cuir à base de résidus de pomme! Il existe aussi des cuirs de liège, de champignon, de raisin, d’algue et j’en passe! Ce qu’il faut garder en tête, c’est que ce n’est pas parce que c’est végan que c’est écologique. Si les marques se prônent végans mais ne sont pas transparentes sur le processus de transformation, c’est sûrement parce que leur procédé comporte des produits chimiques… Pour les plumes, des recherches très prometteuses sur l’asclépiade, une plante ayant des propriétés isolantes, sont en cours au Canada. 

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Piñatex®

 

Il est possible de recycler les fibres naturelles, mais celles-ci doivent être broyées puis re-tissées ou mélangées avec des fibres neuves. Les résultats sont soit des tissus moins performants ou des tissus mixtes difficiles à recycler une deuxième fois.

 

Il existe plusieurs fibres qui sont faites à partir des résidus alimentaires comme la fibre de lait, de soya, de banane et d’orange. Puisqu’elles ne requièrent pas la création de nouvelles ressources et récupèrent des matériaux qui finiraient au dépotoir, elles représentent un avantage écologique considérable. Il y existe aussi des recherches pour créer des fibres biochimiquement à partir d’ADN synthétique de fils d’araignée

 

En tout cas, beaucoup de recherches et d’innovations passionnantes sont en cours, mais elles sont encore trop embryonnaires pour les considérer comme des solutions accessibles actuellement. 

 

Les fibres artificielles

Viscose/rayonne, modal, lyocell, acétate, bambou, 

 

Les fibres artificielles proviennent de la pâte de bois de divers végétaux et sont transformées soit chimiquement ou mécaniquement. En moyenne, 150 000 000 d’arbres sont coupés par année pour la production de textiles artificiels. Ce type de fibre requiert donc un procédé de fabrication très polluant et le tissu qui en résulte n’est pas très durable en termes de qualité. Toutefois, comme elles sont faites à partir de matière végétale, elles sont biodégradables, ce qui est un avantage par rapport aux fibres synthétiques. La fibre de bambou est souvent considérée comme une alternative écoresponsable à cause du caractère écologique de la plante. Malheureusement, le tissu fait à partir de bambou est souvent de la viscose, une fibre artificielle qui requiert un procédé très toxique et polluant. Ainsi, ce n’est pas seulement l’origine de la fibre qui détermine son empreinte écologique, mais aussi la façon de l’exploiter.

what is lyocell

TENCEL™

Comme alternative, il existe le Lyocell ou Tencel qui est aussi une fibre artificielle à partir de fibres végétales ou de bois. Elle est fabriquée dans un système de boucle fermée, un procédé qui réutilise les solvants à 99,5%. De plus, les solvants requis pour dissoudre le bois sont non toxiques et inoffensifs pour la peau et les poumons. Il n’a pas besoin d’être blanchi et requiert peu d’eau, d’énergie et de produits chimiques lorsqu’il est teint. Le Tencel est aussi plus durable que la viscose.  

 

Les fibres synthétiques

Polyester, nylon, spandex, acrylique, lycra

Contrairement aux fibres naturelles et artificielles, les fibres synthétiques ne sont pas biodégradables. Celles-ci sont obtenues par synthèse de composés chimiques provenant presque exclusivement d’hydrocarbures. En d’autres mots, des fibres de plastique. C’est le type textile le plus produit au monde. Chaque année, 500 000 tonnes de microfibres plastiques sont libérées pendant le lavage et finissent dans les cours d’eau. L’équivalent de 50 000 000 000 bouteilles de plastique. Il existe des sacs de lavage qui retiennent une partie de ces microfibres, mais minimiser l’utilisation de ce genre de tissu reste quand même la meilleure solution.

On peut aussi opter pour des fibres recyclées. Le recyclage des fibres synthétiques requiert 70 à 80% moins d’énergie que le polyester fait de pétrole neuf. Il peut aussi être recyclé plusieurs fois sans que cela affecte la qualité et peut même être fait à partir de bouteilles en plastique.

 

CERTIFICATIONS

Pour s’assurer de faire le bon choix, on peut se fier aux nombreuses certifications qui existent dans le milieu du textile. Chaque certification impose différentes contraintes. Il est important de pouvoir faire la distinction pour bien comprendre l’impact d’un tissu choisi. Ce n’est pas parce qu’un tissu est biologique qu’il est forcément éthique par exemple. Lorsqu’une marque ou un textile possède l’une de ces certifications, on peut avoir la conscience tranquille, car elles sont assez difficiles à avoir. Il faut toutefois faire attention à l’écoblanchiment: certaines compagnies se créent leur propre logo vert et se prétendent écoresponsables. Si vous ne trouvez pas d’information précise sur leur dite certification, vous pouvez vous permettre de douter!

Quelques exemples de certifications:

Certification biologique: certifié que la culture et l’élevage de la fibre sont sans produits chimiques.

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Certification de matière recyclée: certifie que les fibres sont bien à base de fibres récupérées.

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Certification équitable:  certifie que les employés ont tous eu un salaire et des conditions de travail décentes. À spécifier que le vêtement peut être certifié équitable, mais pas le tissu et inversement.  

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Certification éthique: certifie que les animaux n’ont pas été maltraités.

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Certification environnementale et sanitaire: certifie qu’aucun produit chimique dommageable pour l’environnement ou l’humain n’a été utilisé.

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En somme, l’écoconception est principalement un changement de mentalité. C’est changer notre relation à la matière en réduisant au maximum l’utilisation de matière neuve et en optant pour des matériaux sains lorsque cela est nécessaire. Il s’agit aussi de se rappeler d’où vient la matière et comment elle a été transformée. Le fast fashion a réduit les vêtements à l’état d’objet à usage unique, mais ceux-ci étaient auparavant très précieux. Le tissu était un produit de luxe qui avait une grande valeur et on avait conscience du temps nécessaire à la confection du vêtement. Il faut reconsidérer la définition de beauté pour que le résultat final ne soit pas la seule chose qui compte et que le processus de création soit aussi porteur de sens.

 

C’est aussi une autre approche à la créativité. Le réemploi est souvent considéré comme une contrainte, mais c’est seulement un autre mécanisme de penser. Utiliser les matériaux dans le processus de création en s’adaptant à eux est une merveilleuse façon de rendre honneur à la matière et de donner un sens à chaque objet créé. Il faut redéfinir nos standards pour que la page blanche ne soit plus le point de départ. 

 

L’écoconception prend en compte la totalité de la vie d’un costume et chaque étape de production doit être considérée et remise en question. Dans la deuxième partie de ce blogue, je parlerai plus en détail de l’utilisation de la matière, comme la teinture et l’entretien, et de la remise en circulation pour donner une seconde vie aux costumes et les réinsérer dans la boucle du milieu culturel. 

 

Écoscéno remercie Desjardins, partenaire de la mise en valeur du volet Accompagnements en écoconception.d15 desjardins logo couleur

Sources

  1. WRI/ AII (2020). Roadmap to Net-zero Delivering Science-Based Targets in the Apparel Sector. (p5) https://files.wri.org/d8/s3fs-public/2021-11/roadmap-net-zero-delivering-science-based-targets-apparel-sector.pdf?VersionId=LxrwUSv9dHytM7zybuQgoJ8LUHBZVgM1
  2. https://levistrauss.com/wp-content/uploads/2015/03/Full-LCA-Results-Deck-FINAL.pdf
  3. https://waterfootprint.org/media/downloads/Report18.pdf
  4. https://mistrafuturefashion.com/wp-content/uploads/2019/08/G.Sandin-Environmental-assessment-of-Swedish-clothing-consumption.MistraFutureFashionReport-2019.05.pdf
  5. https://waterfootprint.org/media/downloads/Chapagain_et_al_2006_cotton_2.pdf
  6. Fletcher, K. (2013). Sustainable fashion and textiles : Design journeys. Routledge.
  7. Daignault-Leclerc, Léonie (2019). Pour une garde robe responsable. Montréal: Les éditions La Presse, 204 p. p.54
  8. https://www.stellamccartney.com/us/en/sustainability/fibres-from-forests.html
  9. Daignault-Leclerc, Léonie (2019). Pour une garde robe responsable. Montréal: Les éditions La Presse, 204 p. p.58
  10. https://www.nationalgeographic.fr/environnement/2020/11/les-oceans-pollues-par-le-lavage-de-nos-vetements
  11. Daignault-Leclerc, Léonie (2019). Pour une garde robe responsable. Montréal: Les éditions La Presse, 204 p. p.53-54