L’écoconception, un travail d’équipe
Après L’enclos de Wabush et Conjuration, le Nouveau Théâtre Expérimental s’est engagé dans un troisième accompagnement en écoconception avec Écoscéno pour la pièce Les Morts. Cette création mise en scène par Daniel Brière, écrite et jouée par Alexis Martin, est à l’affiche à Espace Libre jusqu’au 6 novembre 2021.
Les morts prouve bien que l’écoconception ne limite pas la créativité. Au contraire, on pourrait dire qu’elle l’alimente! Le décor est en très grande majorité fait de matériaux de seconde main ou certifiés écoresponsables. Le succès est dû à l’équipe motivée et ingénieuse du NTE. C’est dans cet ordre d’idées que nous avons décidé de demander à différents acteurs clés ce qu’ils retirent de leur expérience en écoconception.
Daniel Brière – Metteur en scène
Marianne Lavoie (ML) : Pourquoi s’engager dans une démarche écoresponsable est important pour le NTE?
Daniel Brière (DB) : Le rôle du NTE est de questionner le théâtre et les façons de faire. Comme on questionne toujours comment écrire, jouer et faire un spectacle, ça avait du sens de se dire que la conception et la réalisation font partie du processus de création. On se pose désormais des questions telles que comment va-t-on choisir des matériaux et faire travailler des gens? Quelles sont les conditions de travail? L’idée est de ne plus faire du théâtre sans penser à tout ce que le processus implique.
On est citoyen, on est conscient de ce qui se passe présentement, on ne peut pas faire comme si on appartenait à une autre sphère. Au théâtre, tout était jeté jusqu’à récemment ou presque et on achetait de façon irresponsable. On ne peut plus se permettre de faire comme on faisait avant. Une fois ce questionnement entrepris, il est impossible de revenir en arrière. La collaboration avec Écoscéno a permis des réponses professionnelles à nos préoccupations.
Une fois ce questionnement entrepris, il est impossible de revenir en arrière.
ML : Quel est le rôle du metteur en scène dans une démarche d’écoconception selon toi?
DB : Même si on est un théâtre qui fonctionne de façon très collégiale, le metteur en scène a toujours une forme d’autorité sur certaines décisions qui doivent être prises. Il faut nécessairement que le désir et le sentiment d’importance de participer à une démarche écoresponsable viennent du metteur en scène. Ayant le rôle de communicateur, il est essentiel. Si au départ il met au clair qu’il y aura une démarche en écoconception, d’une manière douce et encourageante, toute l’équipe suivra. D’ailleurs, dès le contrat, le producteur doit le spécifier et le dire : « nous on va travailler de façon écoresponsable et ça implique des décisions et des recherches à faire ».
Le metteur en scène est souvent au cœur des discussions avec les concepteurs.trices. Il est en quelque sorte le gardien de l’écoresponsabilité. C’est la courroie de transmission entre les artistes sur scène, la direction de production, la direction technique et la conception. On transmet une volonté forte de faire les choses autrement et les membres de l’équipe sont contaminés par ce désir-là. Le rôle du metteur en scène est de dire: « oui, et il faut donner vie à nos idées et nos conceptions en ayant toujours en tête ce désir-là d’écoresponsabilité».
Isabelle Gingras – Directrice de production
ML : Est-ce que le fait de tendre vers des choix de construction et des matériaux de seconde main a eu un impact sur le budget?
Isabelle Gingras (IG) : Essentiellement, travailler en écoconception n’a pas changé l’enveloppe globale du budget, mais la façon dont cet argent a été dépensé.
En écoconception, on peut utiliser des matériaux qui ont des étiquettes précisant leur provenance et la façon dont ils sont conçus, comme le bois certifié FSC. Ces matériaux sont souvent plus coûteux.
Avant de choisir ces matériaux certifiés, il y a l’option d’aller vers les matériaux de seconde main qui sont beaucoup moins chers, voire parfois même gratuits. Pour cette production, nous avons opté principalement pour cette solution. Le fait d’utiliser du matériel qui n’est pas neuf et qui doit parfois être modifié avant de pouvoir être utilisé nécessite plus de temps de travail.
En écoconception, on souhaite aussi que les éléments de décor puissent être réutilisés pour d’autres projets. Pour assurer ce réemploi, on n’assemble pas les matériaux de la même manière et, là aussi, ça prend souvent plus de temps. Ainsi, la facture d’atelier compte moins de dépenses de matériaux et beaucoup plus d’heures de travail.
Il ne faut pas non plus sous-estimer le travail que cette approche demande à l’équipe de production. Même avec l’accompagnement d’Écoscéno, cette façon de faire demande beaucoup plus de recherches, de temps et de ressources.
Donc, la facture globale n’est pas plus élevée. Toutefois, l’investissement financier est consacré aux artisans et leur expertise plutôt qu’à l’achat de matériaux, ce qui correspond à nos valeurs et à notre vision de l’écoresponsabilité.
Essentiellement, travailler en écoconception n’a pas changé l’enveloppe globale du budget, mais la façon dont cet argent a été dépensé.
ML : Quels conseils donnerais-tu à un.e chargé.e de projet / direction de production qui explore pour la première fois l’écoconception?
IG : L’écoresponsabilité nous pousse à renouveler nos habitudes et met au défi notre créativité. Bien que ce soit une démarche très valorisante, il n’en demeure pas moins que c’est une contrainte qui s’ajoute à celles de répondre aux besoins du texte et de la mise en scène, du budget, de l’échéancier, etc.
Ainsi, il est possible qu’en souhaitant trop bien faire, l’équipe se fatigue et se démobilise. Il est donc important d’évaluer le projet de façon globale, puis de cibler des éléments qui nous semblent plus déterminants quant à leur impact écologique.
De plus, puisque ce processus prend plus de temps, il est recommandé de débuter la production plus tôt qu’à l’habitude afin de mettre moins de pression sur l’équipe. Cette avance permet aussi de trouver des matériaux certifiés ou de seconde main qui ne sont pas toujours disponibles à courte échéance.
Catherine Moisan – Directrice technique
ML : Peux-tu nous parler d’une des démarches d’écoconception que tu as menées sur le projet?
Catherine Moisan (CM) : Les murs sont les éléments sur lesquels nous avons pu regrouper le plus de démarches d’écoconception. D’abord, nous nous sommes fait offrir l’entièreté des panneaux qui les composent, par l’Atelier Ovation où nous avons fait le décor. Cela nous a permis de sauver du transport puisqu’ils étaient déjà sur place, en plus d’utiliser des matériaux de seconde main. Finalement, afin de garder le potentiel de réemploi, je me suis assurée d’éviter d’altérer le plus possible les panneaux, en plus d’avoir fait installer les lattes de manière mécanique (clous, pas de colle). La moitié des panneaux pourront être redonnés.
ML : En quoi intégrer des critères d’écoresponsabilité et d’écoconception a modifié tes façons de faire?
CM : Les critères d’écoconception m’obligent désormais à penser au-delà des besoins immédiats de la production. Lorsque j’analyse la maquette préliminaire, je m’efforce de trouver des solutions à partir des équipements au théâtre. Si je dois construire du neuf, j’essaie de créer les éléments de manière standard afin de pouvoir les garder dans l’inventaire du théâtre. En dernier recours, s’il s’agit d’un élément sur mesure, je réfléchis à la possibilité de récupérer des matériaux et j’utilise du bois certifié.
ML : Quels ont été les plus gros obstacles que tu as rencontrés dans la mise en œuvre de l’écoconception?
CM : Les plus gros obstacles que j’ai rencontrés lors de l’écoconception de Les morts, ont été les imprévus reliés à la peinture à base de craie et à l’huile teintée. Comme il s’agissait de produits que nous ne connaissions pas, nous avons eu de la difficulté à trouver la bonne technique d’application en plus d’avoir eu des difficultés d’approvisionnement liées au fait qu’il s’agit de produits peu en demande.
Karine Galarneau – Scénographie
ML : Qu’as-tu pensé de ta première expérience en écoconception? Est-ce que ça va changer ta manière de travailler?
Karine Galarneau (KG) : J’ai adoré mon expérience en écoconception; en plus d’être une façon de travailler qui est cohérente avec le monde dans lequel on vit, j’ai trouvé que ça ajoutait au processus créatif, et que ça permettait à la scénographie d’être plus ancrée dans le milieu dans lequel elle se déploie. L’écoconception est à mettre au cœur de mes prochaines conceptions, bien que je sois consciente que ça prend tout une équipe mobilisée autant en création qu’en production pour y arriver.
ML : De quoi es-tu le plus fière?
KG : Toute la récupération des meubles et objets qui va avec la thématique de la pièce : faire vivre Les morts sur scène. Les livres sont de la bibliothèque de Jean-Pierre Ronfard dont est gardienne le NTE, j’ai apporté beaucoup d’objets dont j’ai hérité de mes grands-parents, le tapis central vient de chez Daniel, l’imperméable vient de chez Alexis, etc. J’aime que cette scéno soit habitée par le vécu réel des objets.
ML : Peux-tu nous parler d’une des démarches d’écoconception que tu as menée sur le projet?
KG : Lorsque nous en étions à voir les options pour le plancher, une grande quantité de lattes de bois était disponible chez Écoscéno. Nous avons décidé de non seulement les utiliser pour le plancher, mais également pour les murs. Nous avons trouvé un fini et une façon de les assembler qui a permis que ça ait l’air de deux matières différentes; de larges planches huilées pour le plancher et un lambris mural noir mat pour les murs. Je suis très heureuse du résultat (et en plus le plancher craque pour vrai!)
La circularisation des ressources
La grande force de cette écoconception réside dans sa circularité. Presque l’entièreté de la matière utilisée pour la scénographie aura au moins deux vies. C’est-à-dire que la plupart des éléments sont faits à partir de matières de seconde main (le plancher, les murs, etc.), ou encore seront réutilisés après la pièce (les accessoires, les praticables, etc.). En fait, une infime partie des accessoires et des décors sont des achats neufs qui termineront à l’enfouissement. Les seuls éléments neufs du décor qui ne pourront être récupérés sont faits de ressources moins toxiques, comme de la peinture sans COV, ou produits de façon écoresponsable comme le bois FSC.
À titre d’exemple, la finition huilée choisie pour l’écoconception a ennoblit la matière et inspiré de futures utilisations. Les panneaux récupérés chez Atelier Ovation et sauvés de l’enfouissement ont encore un fort potentiel de réutilisation et seront sans doute transformés pour une nouvelle création dans les prochains mois. L’écoconception a demandé de la flexibilité, du temps et de la créativité. Le résultat est une production presque sans déchet direct et une scénographie étant un vrai régal pour les yeux!