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13 Décembre 2022

Aperçu du costume écolo – Partie 2

Par Julie Fournier

Pour consulter la Partie 1

Ce billet de blogue présente certaines étapes de la vie d’un costume qui sont généralement moins mises de l’avant. La teinture, l’entretien et la fin de vie des costumes ont des impacts plus grands que l’on pourrait croire. Ce sont des étapes qui sont souvent oubliées, car elles sont à la fin du processus créatif, mais qui ont autant d’importance que les autres.

 

En effet, l’écoconception suggère de tenir compte de chacune des étapes du cycle de vie d’un costume afin de considérer le processus dans son ensemble. Il est important de visualiser la vie d’un costume comme une progression circulaire plutôt que linéaire.

Phases et strategies 1

LA TEINTURE

Pour faire court, l’industrie de la mode produit 20% des eaux usées mondiales ce qui fait d’elle le deuxième plus grand pollueur d’eau. (Ellen MacArthur Foundation, 2017)

Les étapes relatives aux traitements des textiles sont parmi les plus polluantes pour les cours d’eau et la nature. Le tannage du cuir, par exemple, produit des eaux usées qui sont considérées parmi les plus polluantes au monde (Belay, 2010). Plusieurs pays ne possèdent aucune réglementation quant au rejet des déchets toxiques et les métaux lourds et produits chimiques contenus dans les nettoyants chimiques, les agents de blanchiment et les teintures toxiques se retrouvent donc librement dans les cours d’eau des alentours. Il y a d’ailleurs un dicton en Chine, qui dit qu’on peut prédire la prochaine couleur à la mode en regardant l’eau de la rivière (McIlvride, Williams, 2016). Même à Montréal, qui est considéré comme ayant un bon système de traitement des eaux, on ne peut pas encore filtrer les contaminants solubles. Ainsi, lorsque l’on fait de la teinture localement, cela se retrouve malheureusement dans le fleuve St-Laurent… (UQTR, 2016).

 

De plus en plus, les petits producteurs locaux se tournent vers la teinture naturelle. Au Québec, il existe quelques compagnies qui offrent des produits teints naturellement ainsi que les pigments et substances nécessaires à la teinture naturelle ou même encore des cours de teinture naturelle. Voici une liste de quelques compagnies:

Il est d’ailleurs pratique courante pour les designers de costumes de casser les blancs en faisant un bain de teinture avec du thé! Sinon, teindre à partir de peaux d’avocat ou de pelures d’oignon est une bonne introduction à la teinture naturelle, car ce sont des pigments qui tiennent très bien.

Toutefois, la teinture naturelle peut être compliquée à appliquer au milieu théâtral. En effet, le temps requis pour effectuer des tests peut être difficile à intégrer aux courts délais des productions. De plus, les couleurs et les teintes ont plus tendance à changer au fil des lavages et du temps par rapport aux teintures habituelles. Il ne faut toutefois pas sous-estimer la richesse et la beauté disponible dans la nature autour de nous. L’impression florale, technique qui consiste à transférer les couleurs de fleurs et plantes tinctoriales sur du tissu grâce à la vapeur, est plus accessible qu’on pourrait le croire… C’est un nouveau monde à explorer qui pourrait vous surprendre!

Impression florale

©Marie-Renée Bourget Harvey

En fait, cette approche des couleurs naturelles nous pousse à redéfinir le costume comme un élément vivant. Ingvill Fossheim, candidate au doctorat à l’université Aalto en Finlande, travaille sur l’intégration de ces nouvelles techniques comme faisant partie intégrante des performances. Elle se demande pourquoi les costumes et les décors doivent rester inchangés dans le temps alors que le jeu des acteurs évoluent en permanence. Pour elle, les costumes devraient être aussi vivants et changeants que les comédiens sur scène.

La peinture à la craie est une peinture écologique sans COV qui tient particulièrement bien sur les tissus. Elle se travaille facilement et peut être utilisée autant pour changer la couleur d’une chaussure que pour faire des effets aquarelles sur une jupe. Elle se dilue très bien et peut être utilisée dans un spray gun. Elle tient particulièrement sur le tissu synthétique, même à un lavage. Je vous conseille évidemment de faire des tests au préalable. Plusieurs marques existent, mais je suggère Colorantic, une marque québécoise, qui peut se trouver chez Les décorateurs de Montréal.

credit Angela Rassenti

©Angela Rassenti – Les 3 Géants – Mirari

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©Mélanie Turcotte – Showtime – Duceppe

Il existe aussi de la recherche et développement du côté des bactéries qui s’annoncent très prometteuses. Vanessa Mardirossian, candidate au doctorat à l’université Concordia ici à Montréal, travaille sur des colorants faits à partir d’un mélange de résidus alimentaires et de bactéries. Elle arrive à développer des recettes pour atteindre des couleurs précises et réussit à faire « pousser des motifs ». Bien sûr, ce ne sont pas des produits disponibles sur le marché pour l’instant, mais ce sont définitivement des projets excitants à garder à l’œil!

VM

©Vanessa Mardirossian

L’ENTRETIEN

L’entretien peut avoir un impact important dans l’impact écologique d’un vêtement surtout en termes d’énergie utilisée. Il est d’ailleurs estimé qu’en prolongeant la durée de vie des vêtements de seulement neuf mois, on peut réduire leur empreinte carbone de 20 à 30% (Ellen MacArthur Foundation, 2017). La façon dont on lave, sèche et prend soin de nos vêtements a un impact majeur dans le cycle de vie de ceux-ci.

 

C’est sans surprise que le lavage à l’eau froide et le séchage à l’air libre sont les meilleures solutions, car elles nécessitent beaucoup moins d’énergie. Utiliser une machine à laver écoénergétique ainsi qu’optimiser le nombre de brassées ou laver à la main les tâches et les endroits odorants peut aussi aider à diminuer la quantité d’eau et d’énergie requise. En théâtre, on peut mettre un maillot de corps sous les costumes pour laver seulement la couche qui touche à la peau.

 

On peut choisir des détergents et assouplissant biodégradables pour diminuer le nombre de produits chimiques utilisés et se faire des sprays désinfectants maison à base de vodka et d’huile essentielle aux propriétés désinfectantes comme la lavande ou le tea tree. 

 

On peut utiliser des balles de séchage qui diminuent le temps de séchage. Vous pouvez acheter des balles en laine prévues à cet effet ou utiliser des balles de tennis. Il existe aussi des sacs de lavage qui retiennent les microfibres des vêtements synthétiques pour les empêcher de finir dans les cours d’eau. Malheureusement, chaque année, c’est un demi-million de tonnes de microfibres plastiques qui sont déversées dans l’océan, car elles sont trop petites pour être filtrées par nos systèmes d’égout (MUTREC, 2018). C’est d’ailleurs une des raisons pourquoi je préconise les fibres naturelles plutôt que synthétiques. 

 

Les nettoyeurs à sec traditionnels utilisent le perchloroéthylène, un produit faisant partie de la famille des composés organiques volatiles (COV), lié à plusieurs problèmes de santé. À Montréal, il existe comme nettoyeur écologique Daoust Nettoyeurs Écoperformants et Nettoyeur Écologique Royal.

 

Ces simples changements peuvent diminuer assez significativement l’impact écologique de l’entretien, mais aussi allonger la vie des vêtements, car cela les abimera moins vite.  Consultez notre guide d’entretien écoresponsable pour plus de suggestions!

 

LA REMISE EN CIRCULATION

L’une des premières étapes pour amorcer une démarche d’écoconception est de changer son vocabulaire. On peut par exemple arrêter de voir la fin d’une production comme la fin de la vie des matériaux et le voir plutôt comme le commencement d’une deuxième boucle d’un cycle de vie complet. Ainsi, le mot « déchets » se transforme en mot « ressources ».

 

Au Québec, 48 % de l’ensemble des textiles récupérés sont éliminés et 30 % sont exportés vers d’autres pays où leur sort est inconnu (Radio-Canada, 2018). Il est donc primordial de s’assurer que les vêtements aient une seconde vie. Heureusement, il est assez rare que des costumes soient jetés. Toutefois, on peut prendre le temps d’évaluer quelle option permettrait d’optimiser le réemploi de chaque élément.

 

Par exemple, des costumes ayant un fort potentiel théâtral peuvent être gardés dans l’inventaire d’un théâtre ou être donnés à un costumier. Des vêtements sur mesure ou des sous-vêtements peuvent être donnés ou vendus aux comédiens. Des vêtements plus basiques peuvent être aussi gardés en inventaire ou donnés à des organismes. Je recommande de favoriser les dons ou la vente directement à des gens ou à des associations, car les friperies sont généralement surchargées et vendent autour de 25% de ce qu’elles reçoivent. Le reste est exporté ou enfoui. De plus, en donnant à des organismes à vocation sociale, par exemple, on génère un impact positif au sein de notre communauté.

Ce qu’il est important de se rappeler, c’est qu’il n’existe pas de costumes parfaitement écologiques. Il faut souvent faire des choix de valeur lorsque l’on magasine des vêtements ou du textile. Il faut parfois décider entre encourager les produits locaux, éthiques ou écologiques.

Il n’y a pas vraiment de bonnes ou de mauvaises réponses, mais l’important c’est de comprendre l’impact de nos choix et la raison pour laquelle on fait ces choix.

 

Nous sommes aussi confronté.e.s à un grand enjeu d’accessibilité. L’industrie du fast fashion a tellement réduit les coûts des vêtements que l’on a oublié leur vraie valeur. À une époque, les vêtements faisaient partie des biens les plus coûteux. Tout simplement parce cela requiert beaucoup de temps, de ressources et de main-d’œuvre. Aujourd’hui, l’écart est malheureusement trop grand entre les prix des marques bon marché et le vrai prix des vêtements. Cela rend les produits éthiques et écoresponsables difficilement accessibles pour beaucoup de personnes. 

 

Ainsi, il est tout à fait normal de ne pas être capable de faire une conception de costume 100% écoresponsable surtout au début quand ce n’est pas dans nos habitudes. On peut commencer par se donner un objectif par production: viser un bas pourcentage de costume neuf, faire affaires avec une marque locale, planifier d’avance la seconde vie des costumes ou encore tester la teinture à l’avocat pour la première fois! On ne peut pas se battre sur tous les fronts en même temps, donc l’idée est de changer nos habitudes petit à petit en essayant quelque chose de nouveau à chaque fois! 

 

 

Écoscéno remercie Desjardins, partenaire de la mise en valeur du volet Accompagnements en écoconception.d15 desjardins logo couleur

 

Sources:

  1. Ellen MacArthur Foundation, A new textiles economy: Redesigning fashion’s future, 2017. https://www.ellenmacarthurfoundation.org/publications
  2. BELAY, A, « Impacts of Chromium from Tannery Effluent and Evaluation of Alternative Treatment Options, » Journal of Environmental Protection, Vol. 1 No. 1, 2010, pp. 53-58.
  3. MCILVRIDE, D. et WILLIAMS, R. (2016). RiverBlue. https://wrap.org.uk/sites/default/files/2020-10/WRAP-valuing-our-clothes-the-cost-of-uk-fashion_WRAP.pdf
  4. Ellen MacArthur Foundation, A new textiles economy: Redesigning fashion’s future, 2017. https://www.ellenmacarthurfoundation.org/publications)
  5. MUTREC 2018: https://www.quebeccirculaire.org/data/sources/users/11/mutrecrapport-preprojetfinalsommaire.pdf
  6. Radio-Canada: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1105967/recyclage-ecologie-habillement
  7. BEGIN, Denis, GUERIN, Michel et DEBIA, Maximilien, Nettoyage à sec, Montréal, Université de Montréal, 2016. https://www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/RF-914.pdf
  8. DULUDE, Anne-Marie, Déversement des eaux usées de la Ville de Montréal, portrait de la situation, Université du Québec à Trois-Rivières, (2016). https://belsp.uqtr.ca/id/eprint/1380/1/Dulude_eaux_us%C3%A9es_portrait_%202016_A.pdf