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15 juin 2021

Retour sur les costumes de la pièce Les Enfants

Par Julie Fournier

Pendant la saison d’hiver 2020, Écoscéno accompagnait pour la première fois différentes productions théâtrales dont une de la compagnie Jean Duceppe. En effet, la pièce Les Enfants, mise en scène par Marie-Hélène Gendreau, était la première production écoresponsable du théâtre. La conceptrice des costumes, Cynthia St-Gelais, a ainsi entrepris une démarche écoresponsable dans son processus créatif. Nous avons rencontré la conceptrice pour en apprendre un peu plus sur sa démarche.

Une organisation circulaire

Le premier aspect à considérer est que les concepteur.trice.s ne peuvent pas devenir écoresponsables tout seul.e.s. Ils ont besoin du soutien de l’ensemble des départements qui constituent une production et ont besoin d’un changement dans toutes les étapes traditionnelles de création. La machine entière doit changer si l’on veut voir une réelle évolution et cela inclut de donner plus de temps et de budget aux designers pour leur permettre de faire des choix éclairés. Cela est particulièrement important maintenant, au début du processus de changement, car peu d’informations et d’outils sont disponibles sur le sujet de l’écoconception. La réflexion écoresponsable peut donc être très longue et énergivore. Cynthia St-Gelais souligne d’ailleurs que cette première tentative de costumes écoresponsables a été possible grâce au délais et au budget qui lui ont été accordés par le théâtre Jean Duceppe. Elle a ainsi pu entreprendre des démarches qui n’auraient pas été possibles autrement.

Conception

Il faut repenser le rôle du designer. Pour la création de ses costumes, Cynthia n’a pas imaginé les costumes dans tous leurs détails. Elle a plutôt remis des sketchs et des dessins donnant une impressions de ce qu’elle recherchait: sans design et couleurs fixes. Elle les a ensuite adapté selon ce qu’elle trouvait et ce qui l’inspirait. Ainsi, le concept que l’on propose se rapproche d’une impression, d’une ambiance avec laquelle on peut jouer.

Bien sûr, cette manière de fonctionner est assez atypique. Non seulement ce ne sont pas tous les metteurs en scène qui accepteraient ce genre de proposition conceptuelle, mais cela va aussi à l’encontre de notre conception de la créativité libre. On nous apprend souvent que le niveau le plus élevé qu’un concepteur peut atteindre est lorsque l’on peut matérialiser notre vision sans limite de ressource, de budget ou de matériel. Cette approche remet donc en question le rôle des designers, car cela suggère plutôt des concepts flexibles qui favorisent l’adaptation et la transformation. Cela est moins limitatif que l’on pourrait croire, car il y a tellement de matériaux déjà en circulation qu’on peut trouver tout ce dont on a besoin à condition d’apprendre à regarder la matière différemment.

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© Cynthia St-Gelais

De plus, cela force la communication bidirectionnelle entre les différents paliers de l’organisation théâtrale hiérarchisée. Dans ce genre de modèle, la communication est un élément clé. En communiquant avec les différents membres de l’équipe, on peut partager les connaissances de chacun et trouver des solutions inédites. En mettant les techniques et les réseaux en commun, on peut facilement trouver des matériaux manquants ou de nouvelles techniques. De plus, comme les allers-retours entre les différent.e.s collaborateur.trice.s sont très fréquents et que le concept n’est pas arrêté, il faut s’assurer que la vision des concepteur.trice.s reste claire pour tout le monde et que les décisions soient approuvées.

Production

Dans le cas de Les Enfants, qui allait partir en tournée, Cynthia devait s’assurer de la durabilité de ses costumes. Différentes options s’offraient à elle, mais plusieurs comportaient des désavantages. La location n’était pas une option étant donné la durée de la tournée et, de tout façon, la plupart des costumiers ne possèdent pas ou très peu, de vêtements contemporains. Les friperies n’étaient pas optimales non plus, car la durabilité des vêtements de seconde main est souvent aléatoire.

Elle a donc décidé de faire affaire avec des marques de mode locales écoresponsables. Le problème avec cette approche, c’est qu’elle demande beaucoup de temps et d’énergie. Il faut tout d’abord établir le contact avec ces compagnies qui n’ont jamais participé à ce genre de démarches et leur expliquer le projet et le processus. Il faut ensuite faire une nombre considérable d’aller-retours aux magasins. Entre le repérage, l’emprunt des vêtements pour les essayages (en dehors des heures de pointes pour ne pas faire perdre d’argent au magasin), les retours et le stress que ce qu’on voulait ne soit même plus disponible, il y a de quoi s’épuiser. Étant donné qu’aucun système ou partenariat n’avait encore été établi entre les milieux de la mode et du costume, cela a représenté une charge de travail majeure.

Un des vêtements a aussi été fait en atelier dans un tissu certifié écoresponsable. Faire construire les costumes en atelier offre la possibilité d’avoir un contrôle sur la confection et ainsi, de faire des choix réfléchis. Cela permet aussi d’encourager la main-d’œuvre locale. Quant aux certifications, il en existe beaucoup et pour différentes raisons. Il y a par exemple des certifications biologiques, éthiques, locales, recyclées, etc. Même si cela nécessite l’extraction de nouvelles ressources, ce genre de textile a quand même un impact négatif plus faible. Il coûte généralement plus cher et est souvent accessible seulement à l’achat de grandes quantités.

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© Caroline Laberge

Post production

Cynthia a finalement soulevé un problème majeur: la gestion des costumes à la fin d’une production n’est pas ou très peu prise en compte. On dispose le plus vite possible des costumes. Ils sont généralement gardés par le costumier du théâtre, donnés aux costumiers privés ou, s’il s’agit de vêtement contemporains, aux œuvres de charité. Même s’ils ne sont pas jetés, les vêtements contemporains sont quand même sortis de la boucle du théâtre et pour ainsi dire, perdus. Il est assez commun que les costumes de base génériques (t-shirts noirs, tailleurs et vestes, chemises blanches, etc.) soient sans cesse achetés neufs dans les magasins low cost. Cela constitue un problème, car créer à partir de matériel neuf demande toujours plus d’énergie et de ressources. De plus, acheter dans ce genre de magasins encourage l’industrie du fast fashion, une industrie grandement polluante et inhumaine.

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© Caroline Laberge

Des ressources à créer

Ainsi, même si l’effort est là, il manque encore beaucoup de ressources pour aider les concepteur.trice.s dans leurs démarches écologiques. Parmi les solutions disponibles, Cynthia a mentionné quelques entreprises, Télio par exemple, qui fournissent des tissus écologiques ou biologiques, mais souvent assez chers et seulement en très grandes quantités. La conceptrice propose aussi l’idée d’un système qui faciliterait le lien entre les stylistes locaux et les concepteur.trice.s de costumes pour que la communication se fasse plus rapidement et facilement. Pour elle, qui effectuait ces démarches pour la première fois, cela a été une source de travail considérable, car elle a dû monter un dossier pour chaque styliste pour que chacun.e comprenne le projet et le fonctionnement du théâtre.

D’autres idées surgissent aussi à droite et à gauche quand on évoque le sujet avec des concepteur.trice.s de costumes. Parmi elles, un système qui permettrait de récupérer les vêtements de base dont tout le monde a tant besoin et qui sont sans cesse ré-achetés neufs. Ou encore une entreprise qui offrirait des matériaux alternatifs comme des tissus de seconde main ou de la teinture naturelle.

En tout cas, la demande d’alternatives grandit de plus en plus et plusieurs projets voient le jour pour répondre aux besoins. Les mentalités changent peu à peu et le changement arrive doucement, mais sûrement!